Babx
Concert littéraire
Le Dimanche 17 novembre 2013 à la Maison de la Poésie-Scène Littéraire

Dans le cadre du Festival "Paris en toutes lettres" 2013.

Retrouvez toute la programmation de la Maison de la Poésie sur www.maisondelapoesieparis.com

..........................................................

Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
 
Messire Belzébuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d’un vieux Noël!
 
Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles:
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
Que serraient autrefois les gentes demoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
 
Hurrah! Les gais danseurs, qui n’avez plus de panse!
On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs!
Hop! qu’on ne sache plus si c’est bataille ou danse!
Belzébuth enragé racle ses violons!
 
O durs talons, jamais on n’use sa sandale!
Presque tous ont quitté la chemise de peau;
Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau:
 
Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,
Un morceau de chair tremble à leur maigre menton:
On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
 
Hurrah! La bise siffle au grand bal des squelettes!
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer!
Les loups vont répondant des forêts violettes:
A l’horizon le ciel est d’un rouge d’enfer…
 
Holà, secouez-moi ces capitans funèbres
Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés
Un chapelet d’amour sur leurs pâles vertèbres:
Ce n’est pas un moustier ici, les trépassés!
 
Oh! voilà qu’au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporté par l’élan, comme un cheval se cabre:
Et, se sentant encore la corde raide au cou,
 
Crispe des petits doigts sur son fémur qui craque
Avec des cris pareils à des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la barque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.

Rimbaud, Le Bal des pendus